Bleu presque transparent

Me voici revenu chez moi, dans mon pays, dans ma ville et dans ma maison. Plus le temps passe, plus les choses changent et moins je comprends ni n’admets ces quatre possibilités.
Chez moi ? Chez moi c’est là où je suis. Rien ne saurait attraper suffisamment longtemps ce que je suis pour en faire un chez-moi, moi qui ai passé mon enfance comme un nomade, à dormir là où je pouvais, là où il y avait simplement de quoi s’allonger et parfois se protéger du froid, alors chez moi, ça n’a jamais signifié grand-chose.
Mon pays ? C’est quoi mon pays ? Celui qui fait que je parle la langue dans laquelle je me suis toujours exprimé depuis mes premières années ? Est-ce suffisant pour en faire son pays ? J’ai une langue maternelle, certes, mais mon pays… ? Je n’appartiens à aucun pays, même si mon passeport dit le contraire, et surtout, aucun pays ne m’appartient. J’appartiens à qui sera le plus offrant et celui qui sera le plus à même de faire de moi un homme heureux. Le reste, ce n’est qu’une question d’histoire et de familiarité, un lien ténu qui n’arrive pas à faire de soi une personne de telle ou telle nationalité. Maintenant je comprends mieux ceux qui parlent de race, d’identité, de question nationale. Je comprends surtout qu’il vaut mieux les laisser dans leur petit entre-soi étriqué, minable… Mieux vaut éviter de perdre son temps à les éduquer, le problème se situe ailleurs.
Ma ville ? J’ai grandi dans une ville dans laquelle je ne vis plus aujourd’hui, mais dans laquelle je suis revenu à plusieurs reprises, comme un refuge, mais elle a fini par grandir sans moi, même si elle a tout fait pour me happer et me faire revenir vers elle, je n’y suis plus aujourd’hui même si j’y vais souvent. Et la ville dans laquelle j’habite ? C’est juste la ville dans laquelle j’habite. Aucun lien affectif. Rien. Pas le moindre battement de cœur, même pas un battement de cil. Je m’en étonne moi-même.
Ma maison ? Trop de choses accumulées dans le temps, j’ai déjà fait le tri, j’ai jeté mes vies antérieures, et je continue tous les jours. Je sais que le jour où je partirai d’ici, je n’éprouverai aucun regret, pas de tristesse. Ce ne sont que des murs avec un toit au-dessus, et puis je en crois pas à ces fantômes-là.
C’est comme ça. Je suis chez moi partout, donc nulle part. Mais ce n’est ni grave, ni important. Et puis ça commence, on n’est à peine à la mi-septembre, l’école vient à peine de reprendre pour mon fils, ça ne fait que quelques semaines que j’ai repris le travail et déjà, là, ce samedi matin, je suis déjà en train de cracher mon insatisfaction au visage du monde. C’est terrible pour moi. Moi qui suis revenu en me disant qu’il était temps pour moi de revenir, que ça suffisait comme ça, je suis déjà en train de repartir. Je ne comprends rien, je ne sais ni comment je fonctionne, ni comment le monde m’a façonné pour que je sois aussi instable. Le fait d’être stable émotionnellement me fait parfois chavirer dans des extérieurs que je ne maîtrise pas. Je crois que c’est cela qu’on appelle le monde… Et puis c’est comme ça, c’est tout…

En réalité, je ne sais même plus quand ça a commencé. Et ce qui me fait le plus peur dans tout ça, c’est que ça ne s’arrange vraiment pas avec l’âge. Je sais que j’ai commencé à voyager il y a bien longtemps. Bien avant finalement, que je sois le seul maître à bord, avant que je décide où aller. J’avais commencé à voyager dans les livres, dans les films, partout là où je pouvais trouver des icônes du voyage comme un jeune enfant collectionne les images, comme le disent tous les écrivains voyageurs…

En route, le mieux c’est de se perdre. Lorsqu’on s’égare, les projets font place aux surprises et c’est alors, mais alors seulement, que le voyage commence. Nicolas Bouvier.

Le mieux, c’est de se perdre…

Thaïlande - Ayutthaya - 175 - Wat Phutthaisawan

Me voici revenu pour fêter ici mes quarante-trois ans. Quarante-trois que je n’arrive toujours pas à voir se dessiner sur mon visage. Je ne sais pas si c’est le lot de chacun de ne pas se voir vieillir, à cause peut-être de tout le temps qu’on passe ensemble, de tous ces regards jetés dans le miroir et qui ne renvoient qu’une image altérée de ce que l’on est intrinsèquement. Je n’en sais rien, je ne sais pas comment ça se passe, je n’ai jamais vécu ça auparavant… Toujours est-il que je finis par vieillir. J’ai l’âge que mon père avait quand j’ai eu mon premier appartement.

Mon dernier voyage a commencé, il est en train de se dessiner, de parcourir chacun de mes organes, il s’insinue en moi par mon sang, dessine sa trajectoire dans mes veines, se glisse dans chacun de mes actes et tisse un voile devant mon regard pour m’empêcher de voir la réalité. Réalité dont je n’ai que faire, par ailleurs. Depuis quelques semaines, je pense à la mort, je ne sais pas pourquoi cela revient comme ça, mais ce n’est ni une obsession, ni une sorte de présage, mais simplement une idée que je me fais de ce que ça pourrait être, à la manière des disciples d’Épicure qui dessinaient au fond de leur verre une tête de mort, pour leur rappeler qu’ils n’étaient que des visiteurs dont le voyage était limité dans le temps et qu’à la fin de tout ça, il n’y a rien, afin d’atteindre une certaine tranquillité de l’âme. Alors oui, la mort est présente en moi, mais c’est pour mieux vivre ce qui me reste à vivre.

Photo d’en-tête © SanZen**

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